« Welcom Joy and Welcom Sorrow » d’Imogen Holst

Imogen Holst

Fille unique de Gustav Holst, Imogen étudie à la St Paul’s Girl’s School où son père est directeur musical. À 19 ans, elle rentre au Royal College of Music, où elle fait ses classes d’écriture (harmonie, contrepoint, composition) notamment avec Ralph Vaughan Williams, et de direction d’orchestre. Elle est lauréate de plusieurs concours de compositions dont, en 1928, le prix Cobbett pour son quatuor à cordes. En 1931, elle gagne sa vie comme musicienne pigiste. En 1939, elle part étudier en Suisse, mais rentre en Angleterre juste avant le déclenchement des hostilités. Durant la guerre, elle travaille notamment avec les musiciens allemands et autrichiens ayant fuient le nazisme. En 1940, elle rencontre Benjamin Britten et son compagnon, avec lesquels elle noue des relations d’amitiés.

En 1951, elle reprend son travail de pigiste et, en 1952, elle est appelée par Benjamin Britten pour l’aider dans son opéra Gloriana. Elle collabore étroitement avec lui comme adjointe musicale pour le festival d’Aldeburgh, qu’elle dirige 1956 à 1977. Parallèlement à sa carrière de compositrice, elle publie les œuvres savantes de son père dont quatre volumes de fac-similés. Elle est nommée membre honoraire de la Royal Academy of Music en 1970, et commandeur de l’ordre de l’Empire Britannique en 1975. Elle reçoit des doctorats honorifiques des universités de l’Essex en 1968, d’Exeter en 1969 et de Leeds en 1983.

Les cycles pour voix de femmes et harpe

Le cycle pour trois voix égales et harpe le plus connu est sans conteste les Ceremony of Carols de Benjamin Britten. Il s’agit d’une œuvre pour chœur d’enfants et harpe en 11 parties. Ce cycle est bien conçu pour des voix d’enfants et non des voix de femmes, donc lorsque des femmes s’emparent de l’œuvre il est préférable qu’elles le chantent avec le moins de vibrato possible pour conserver, tant que faire se peut, la fraîcheur et la couleur des voix d’enfants. B. Britten a commencé à le composer lors d’une traversée en bateau des USA vers l’Angleterre en mars 1942 et l’a terminé en octobre de la même année. Au départ il s’agissait de pièces chantées sans liens entre elles, et il les a réunies ensuite en ajoutant la procession d’entrée et de fin. Les textes sont tirés, pour la plupart d’entre eux, de The English Galaxy Shorter Poems édités par Gerard Bullet. Il est à noter la présence d’un solo de harpe (pièce n° 7 Interlude).

Mais la formation musicale chœur de voix de femmes et harpe avait été mis à l’honneur bien avant Britten, par Gustav Holt, le père d’Imogen, notamment en 1910 avec son Choral Hymns from the Rig Veda, group III, quatre pièces composées pour quatre voix de femmes et harpe. Elles font partie d’un tout formé de quatre grands groupes qui peuvent être chantés indépendamment puisqu’ils y ont chacun une orchestration et une formation chorale différente. Le premier groupe des Rig Veda est composé pour chœur mixte et orchestre (1908), le second pour chœur de femmes et orchestre (1909), le troisième pour chœur de femmes et harpe (1910) et le quatrième pour chœur d’hommes, orchestre à cordes et cuivres (1912). Ces quatre groupes ont en commun leurs textes : Il s’agit de la traduction en anglais, faite par Gustav Holst lui-même, de textes extraits du Rig Veda écrits en sanskrit. Il s’agit du plus ancien et plus important livre sacré hindou. Ce cycle pour voix de femmes et harpe, n’a pas la notoriété de celui de Benjamin Britten, mais il commence à faire fréquement le pendant des Ceremony of Carols, dans les programmes de concert. Il est vraiment écrit pour voix de femmes et non d’enfants ; la tessiture de la voix d’alto est beaucoup trop grave pour être chantée par des enfants.

En 1911, Gustav Holst créé un second cycle, beaucoup plus court, pour chœur de femmes à trois voix et harpe intitulé Two Eastern Picture. Il est composé de deux pièces Spring et Summer.

Quand Imogen Holst choisi d’écrire son cycle pour voix de femmes et harpe, elle a forcément une connaissance de ces trois cycles pour chœurs à voix égales et harpe, deux ayant été composés par son père et le troisième par son ami.

Cycle Welcome Joy and Welcome Sorrow

En 1951, Benjamin Britten propose à Imogen Holst de mettre en musique six poèmes de John Keats (1795 -1821), auteur romantique anglais, et de les présenter au festival d’Aldeburgh, que Benjamin Britten avait participé à créer en 1948. Le cycle sera donc créé en juin 1951, dans le cadre de ce festival, et publié par la suite aux éditions OUP (Oxford University Press). Imogen Holst avait déjà une pratique de l’écriture pour trois voix de femmes mais pas de la harpe. D’ailleurs, il est à noter que c’est la seule pièce qu’elle a écrite pour cet instrument.

Nous allons d’abord nous intéresser aux textes originaux de John Keats qui ne sont pas contemporains les uns des autres et qui n’ont pas été écrits pour être lus à la suite. Les six poèmes choisis n’ont pas été utilisés intégralement. Par ailleurs, il est intéressant de noter les choix de la compositrice par rapport à ces textes : utilisation partielle, juxtapositions, inversion, suppression de vers ou de mot. Imogen Holst fait déjà acte de composition pour l’élaboration de son cycle dans le choix et le traitement de textes, originellement écrits indépendamment les uns des autres.

NB : Dans les poèmes originaux qui suivent seules les parties en gras ont été utilisées par la compositrice. Vous trouverez la traduction des parties utilisées par Imogen Holst plus loin dans l’article.

1 – Welcome Joy and Welcome Sorrow

Le premier poème donne son titre au cycle complet. Il met en perspective le contraste permanent entre la joie et la tristesse, thème qui va traverser tout le cycle. Les autres poèmes qui complètent le cycle ont été choisis par rapport à ce contraste, soit dans leur enchainement au cours du cycle soit à l’intérieur même du poème.

Welcome joy, and welcome sorrow, 
Lethe’s weed, and Hermes’ feather, 
Come to-day, and come to-morrow,
I do love you both together!
I love to mark sad faces in fair weather, 
And hear a merry laugh amid the thunder; 
Fair and foul I love together; 
Meadows sweet where flames burn under; 
And a giggle at a wonder;
Visage sage at pantomime;
Funeral and steeple-chime; 
Infant playing with a skull;
Morning fair and storm-wreck’d hull; 
Night-shade with the woodbine kissing; 
Serpents in red roses hissing; 
Cleopatra, regal drest,
With the aspic at her breast;
Dancing music, music sad,
Both together, sane and mad;
Muses bright and Muses pale;
Sombre Saturn, Momus hale,
Laugh and sigh, and laugh again,
Oh! The sweetness of the pain!
Muses bright and Muses pale,
Bare your faces of the veil,
Let me see, and let me write
Of the day, and of the night,
Both together, – let me slake
All my thirst for sweet heart-ache!
Let my bower be of yew,
Interwreath’d with myrtles new,
Pines, and lime-trees full in bloom, 
And my couch a low grass tomb. 

2 – Teignmouth

Le deuxième poème nous décrit un endroit où il fait bon vivre, Teignmouth où le poète avait passé un agréable séjour.

For there’s Bishop’s teign
And King’s teign
And Coomb at the clear Teign head  
Where close by the stream
You may have your cream
All spread upon barley bread.

There’s arch Brook 
And there’s larch Brook
Both turning many a mill;
And cooling the drouth 
Of the salmon’s mouth, 
And fattening his silver gill.

There is Wild wood,
A Mild hood
To the sheep on the lea o’ the down,
Where the golden furze,
With its green, thin spurs,
Doth catch at the maiden’s gown.

There is Newton Marsh
With its spear grass harsh 
A pleasant summer level
Where the maidens sweet
Of the Market Street,
Do meet in the dusk to revel.

There’s the Barton rich 
With dyke and ditch
And hedge for the thrush to live in
And the hollow tree
For the buzzing bee
And a bank for the wasp to hive in.

And O, and O
The daisies blow
And the primroses are waken’d,
And violets white
Sit in silver plight,
And the green bud’s as long as the spike end.

Then who would go
Into dark Soho,
And chatter with dack’d-hair’d critics,
When he can stay
For the new-mown hay,
And startle the dappled prickets?

3 – Over the Hill and over the Dale

Dans le troisième poème, seule la première strophe a été retenu par Imogen Holst, où les douceurs qui ont le goût amer du « trop peu » contrastent avec le poème précédent.

Over the hill and over the dale,
And over the bourn to Dawlish 
Where gingerbread wives have a scanty sale
And gingerbread nuts are smallish.

Rantipole Betty she ran down a hill
And kicked up her petticoats fairly;
Says I I'll be Jack if you will be Gill 
So she sat on the grass debonairly.

Here's somebody coming, here's somebody coming!
Says I 'tis the wind at a parley;
So without any fuss any hawing and humming
She lay on the grass debonairly.

Here's somebody here and here's somebody there!
Says I hold your tongue you young Gipsey;
So she held her tongue and lay plump and fair
And dead as a Venus tipsy.

O who wouldn't hie to Dawlish fair,
O who wouldn't stop in a Meadow,
O who would not rumple the daisies there
And make the wild fern for a bed do!

4 – O Sorrow

O Sorrow,
Why dost borrow
The natural hue of health, from vermeil lips? —
To give maiden blushes
To the white rose bushes?
Or is’t thy dewy hand the daisy tips?

O Sorrow,
Why dost borrow
The lustrous passion from a falcon-eye? —
To give the glow-worm light?
Or, on a moonless night,
To tinge, on syren shores, the salt sea-spry?

O Sorrow,
Why dost borrow
The mellow ditties from a mourning tongue? —
To give at evening pale
Unto the nightingale,
That thou mayst listen the cold dews among?

O Sorrow,
Why dost borrow
Heart’s lightness from the merriment of May? —
A lover would not tread 
A cowslip on the head,
Though he should dance from eve till peep of day —
Nor any drooping flower 
Held sacred for thy bower,
Wherever he may sport himself and play.

To Sorrow
I bade good morrow,
And thought to leave her far away behind;
But cheerly, cheerly,
She loves me dearly;
She is so constant to me, and so kind:
I would deceive her, And so leave her,
But ah! she is so constant and so kind...

Come then, Sorrow!
Sweetest Sorrow!
Like an own babe I nurse thee on my breast:
I thought to leave thee
And deceive thee,
But now of all the world I love thee best.

5 – Lullaby

'Tis 'the wiching time of night'
Orbed is the Moon and bright
And the Stars they glisten, glisten
Seeming with bright eyes to listen
For what listen they?
For a song and for a charm
See they glisten in alarm
And the Moon is waxing warm 
To hear what I shall say.
Moon keep wide thy golden ears
Hearken Stars, and hearken Spheres
Hearken thou eternal Sky
I sing an infant's lullaby
A prety Lullaby!
Listen, Listen, listen, listen
Glisten, glisten, glisten, glisten
And hear my lullaby?
Though the Rushes that will make
Its cradle still are in the lake:
Though the linnen then that will be
Its swathe is on the cotton tree;
Though the wollen that will keep
It warm, is on the sille sheep;
Listen Stars light, listen, listen,
Glisten, Glisten, glisten, glisten
And hear my lullaby!*
Child! I see thee! Child I've found thee!
Midst of the quiet all around thee!
Child I see thee! Childe I spy thee
And thy mother sweet is nigh thee! 
Child I know thee! Child no more
But a Poet evermore
See, See the Lyre, the Lyre
In a flame of fire
Upon the little cradle's top
Flaring, flaring, flaring
Past the eyesight's bearing 
Awake it from its sleep
And see if it can keep
Its eyes upon the blaze.
Amaze! Amaze!
It stares, it stares, it stares
It dares what no one dares
If lifts its little hand into the flame
Unharm'd, and on the strings
Paddles a little tune and sings
With dumb endeavour sweetly!
A Poet now or never!

*Le vers est inversé est apparait avant et après le vers précédent dans la pièce d’Imogen Holst.

6 – Shed no Tear

Le titre original est Fairy’s Song.

Shed no tear – o, shed no tear!
The flower will bloom another year.
Weep no more ! O weep no ore!
Young buds sleep in the root’s white core.
Dry your eyes ! Oh ! dry your eyes,
For I was taught in Paradies
To ease my breast of melodies —
Shed no tear.

Overhead ! look overhead!
‘Mong the blossoms whote and red —
Look up, look up. I flutter now
On this flush pomegranate bough.
Ever cures the good man’sill.
Shed no tear ! O shed no tear!
The flower will bloom another year.
Adieu, Adieu – I fly, adieu
I vanish in the heaven’s blue —
Adieu, Adieu !

Traduction des 6 textes retenus par Imogen Holst

La traduction des textes permet de mesurer toute la proximité entre ces deux sentiments : la joie et la tristesse. Source : Geneviève Bégou, 2012 – https://www.eclassical.com/shop/17115/art87/4785487-db618d-0093046757625_01.pdf

1 – Bienvenue à la joie, bienvenue au chagrin

Bienvenue à la joie, bienvenue au chagrin, 
Au deuil de Léthé, à la plume d’Hermès ; 
Vienne aujourd’hui, vienne demain,
Je vous aime tous deux, 
La morelle enlacée au chèvrefeuille ; 
Le serpent sifflant dans le rosier rouge ; 
Cléopâtre en habits royaux,
Mais l’aspic en son sein ; 

La musique de danse, la musique triste, 
Ensemble, le fou et le sain d’esprit.
Les muses légères et les muses au front pâle ; 
Saturne sombre, Momus rayonnant ;
Rire, soupirer, rire encore. 

2 – Teignmouth

Je pourrais demeurer ici tout l’été,
Visiter Bishop’s Teign
Et King’s Teign,
Et Coomb à sa source claire
Où, au bord de l’eau,
On déguste de la crème Sur du pain de seigle.

Puis Arch Brook
Et Larch Brook
Qui font tourner tant de moulins ;
Et rafraîchissent l’eau
Où le saumon d’argent
Vient s’engraisser.

Et Barton la belle
Avec sa digue et ses fossés,
Et sa haie où chante la grive,
Et l’arbre creux
Où bourdonne l’abeille,
Et le talus où la guêpe fait sa ruche.

Et – oh ! oh ! –
Les pâquerettes qui se balancent,
Les primevères qui s’éveillent,
Et les blanches violettes
Lovées dans leur écrin d’argent,
Et les bourgeons, longs comme les épis.

3- Par-delà Colline et Vallon

Par-delà Colline et Vallon,
De Bourn jusqu’à Dawlish,
Peu de bonshommes en pain d’épice,
Et les biscuits au gingembre sont minuscules.

4 – Ô Chagrin

Ô chagrin,
Pourquoi emprunter
L’éclat naturel des lèvres vermeilles ?
Pour faire rosir
Les rosiers blancs ?
Est-ce ta main humide qui effleure la pâquerette ?

Ô chagrin,
Pourquoi emprunter
L’éclair de l’œil du faucon ?
Pour donner à la luciole sa clarté ?
Ou, par une nuit sans lune,
Teinter l’écume des flots, là où demeurent les sirènes ?

Ô chagrin,
Pourquoi emprunter
Le doux chant d’une voix en peine ?
Pour le donner, quand meurt le jour, Au rossignol,
Et l’écouter dans la rosée du soir ?

Ô chagrin,
Pourquoi emprunter
Le cœur léger du joli mois de mai ? Aucun amoureux ne foulerait
La primevère,
Même s’il dansait du crépuscule à l’aube.

5 – Berceuse

Lune ! Ouvre grand tes oreilles d’or !
Étoiles, prêtez attention !
Et vous, sphères célestes ! Écoute, ciel d’éternité,
Je chante une berceuse,
Une jolie berceuse,
Écoute, écoute, écoute, écoute, écoutez,
Luisez, brillez,
Et entendez ma berceuse.
Le jonc qui tressera
Son berceau est encore dans le lac ;
Le fil qui tissera son lange
Est encore sur la fleur du cotonnier ;
La laine qui le réchauffera
Est encore sur l’agneau ;
Écoute, lumière des étoiles, écoute, écoute, Luis, brille,
Et entends ma berceuse.

6 – Ne pleure pas

Ne pleure pas, ô ne pleure pas !
La fleur refleurira une autre année.
Ô ne pleure pas, ne pleure pas !
De jeunes bourgeons dorment au sein de la racine.
Sèche tes yeux, ô sèche tes yeux,
Car j’ai appris au Paradis
A chanter pour soulager mon cœur.
Ne pleure pas, ô ne pleure pas !
La fleur refleurira une autre année.
Adieu, adieu, je m’envole, adieu !
Je disparais dans l’azur du ciel,
Adieu, adieu.

Éléments musicaux

Après le choix des textes, regardons les éléments musicaux qui permettent à ces six pièces de former un cycle et non un recueil,  les liens qui unissent ces 6 pièces alors qu’elles sonnent si différemment les unes des autres.

L’écriture vocale

Chacun des morceaux commence par un unisson (le même son) des trois voix qui va se diviser en deux ou en trois voix et va de manière récurrente revenir à l’unisson pour mieux se rediviser ensuite. Le plus grand unisson étant celui de la troisième pièce qui commence par une longue phrase chantée à une voix par tout le chœur, écrite dans le style d’une chanson enfantine. Il est a noté que le cycle Ceremony of Carols commencent et se termine par un unisson, et que la deuxième pièce Hymn to the water des Choral Hymns from the Rig Veda groupe III commence aussi par unisson précédé par un ostinato à la harpe qui continue quelques mesures après l’entrée du chœur.

L’écriture est majoritairement homophonique (tout le monde chante le même texte en même temps) sur toute la longueur du cycle, à part quelques exceptions qui se trouvent  aussi dans la troisième pièce, où  l’on y entend un canon entre les deux voix graves.

Les deux pièces centrales O Sorrow et Lullaby mettent en valeur chacune des voix du chœur traitées en solo, soit juste accompagnées à la harpe, soit accompagnée  par les autres pupitres (autres voix du chœur) en pianissimo (très doux) et par la harpe.

L’écriture rythmique

L’homorythmie des voix (toutes les voix ont le même rythme en même temps) domine largement le cycle. Les pièces 1, 2 et 4 sont en rythmes en binaires (temps divisé en deux parties égales) alors que les pièces 3 et 5 sont en rythmes ternaires (temps divisé en trois parties égales). Le ternaire est tout à fait adapté pour la berceuse Lullaby car ce rythme évoque le mouvement tournant, d’ailleurs il est fréquemment utilisé dans les berceuses.

La pièce qui conclue le cycle utilise un mélange des deux rythmes, binaire et ternaire, avec une mesure à 5/8 : dans chaque mesure il y a un temps binaire et un temps ternaire, ce qui lui donne un caractère légèrement chaloupé, qui vient renforcer le réconfort face à la mort, évoquée par le texte. La mort est présente mais n’y est jamais nommée.

L’écriture harmonique (les accords utilisés)

Le même enchaînement harmonique ouvre et conclu le cycle : les trois premiers accords chanté par le chœur qui ouvre le cycle Welcome Joy and Welcome Sorrow se trouvent à la fin de la dernière pièce Shed no tear sur les mots « Adieu, adieu ». Ils sont juste transposés une tierce en dessous (on entend la même musique mais en plus grave). Dans le premier morceau Welcome Joy and welcome Sorrow l’enchaînement est repris quatre fois dont trois fois transposé, et une cinquième fois avec une légère modification. Dans le dernier morceau, il est repris une première fois avant le retour du thème principal et à la fin.

Imogen Holst écrit vraiment avec le langage harmonique de son temps en intégrant complètement les accords de septième d’espèce (il y a une distance de sept notes entre la note la plus grave de l’accord et la note la plus aiguë, ce  qui  fait dissonance entre elles).  Elle utilise parfois trois sons très proches distants d’une seconde les uns des autres et qui pourraient s’apparenter à des clusters (grappe de sons conjoints).

Les figuralismes

Le figuralisme est un moyen d’évoquer le texte ou une idée suggérée par le texte par l’écriture musicale. Les plus courantes sont la montée vers l’aiguë des voix quand le texte parle de paradis et la descente des voix dans le grave quand il s’agit d’enfer. Ce procédé mélodique est connu dès les premières monodies médiévales qui nous sont parvenues.  Nous retrouvons des figuralismes tout au long du cycle.

En voici quelques exemples :

  • Dans la première pièce Welcome Joy and Welcome Sorrow, la mélodie monte dès le début vers l’aigu et un accord lumineux de sol Majeur est placé sur le mot « joy » et le « welcome sorrow » qui suit la mélodie descend dans le grave. Les dissonances sont placées sur les mots qui évoquent la tristesse ou la mort et les consonnances sur les mots évoquant la lumière et la joie.
  • Dans la seconde pièce Teignmouth, elle utilise un rythme sautillant pour évoquer les saumons , une vocalise dans l’aigue pour le chant de la grive.
  • La 4e pièce O sorrow est de loin la plus dissonante du cycle : dissonance entre les voix, entre les unissons de pupitre et la harpe. Le mot « sorrow » revient régulièrement et donne lieu aux harmonies les plus dissonantes et les plus tendues de tout le cycle, où les voix extrêmes sont à une septième Majeure ou à une neuvième mineure l’une de l’autre, intervalles très dissonants.
  • Dans la dernière pièce Shed no tear, sur le mot « tear » il y a un cluster de trois notes conjointes. Sur le mot  « paradis », la voix de soprano atteint le « la » aigu, la note la plus aiguë de tout le cycle, et sur les mots « I fly » la harpe évoque la montée vers le ciel par une montée en double croches d’un peu plus de deux octaves en une mesure de 5 croches ; il s’agit de la seule utilisation de doubles croches de toute cette dernière pièce.

On ne peut pas dire que ce procédé soit propre à ce cycle, mais il fait aussi partie de ce qui unifie l’écriture musicale de cette œuvre. Notons qu’Imogen Holst emploi également beaucoup les figuralismes dans sa pièce a cappella The twelve kindly months, œuvre chantée aussi par Para L’Elles.

L’écriture de la harpe

L’écriture en « ostinato » traverse les six pièces. Un ostinato est un motif mélodique et rythmique qui se répète plusieurs fois de suite, pendant un certain nombre de mesures. La première pièce et la seconde commence par un ostinato à la harpe. Dans la première pièce, il traverse tout le morceau quasiment sans s’arrêter. Dans le second morceau un nouvel ostinato va se répéter 17 fois avant de commencer à se déliter, et va réapparaitre dans les dernières mesures de manière succincte. Dans la troisième pièce, Imogen Holst arrête l’écriture en ostinato mais de manière récurrente des mesures sont répétées deux fois. Dans la cinquième pièce, la partie grave de la harpe est un long ostinato, sur lequel vient se poser des harmonies différentes. La dernière pièce commence avec une longue « pédale » à la basse. Une pédale est une note tenue ou répétée pendant un certain temps, comme peuvent l’être des valeurs longues tenue au pédalier de l’orgue, d’où son nom de pédale.

Il est à remarquer que les ostinatos à la harpe sont aussi très présents dans Choral Hymns from the rig Veda groupe III de Gustav Holst. S’agit-il d’une figure de style ou d’un hommage à l’œuvre de son père ? Les deux sont envisageables.

La quatrième pièce est à part. Les trémolos à la harpe, la relation entre les voix et la harpe font de cette pièce un hommage directe au Ceremony of Carols de B. Britten ; ils évoquent sans équivoque les trémolos de In freezing Winter Nigth, la septième pièce de Britten, dont les phrases commencent par un unisson des voix qui se séparent pour former un accord devenant  de plus en plus dissonant à chaque répétition. Les solos qui traversent O Sorrow sont aussi un clin d’œil à Balulalow, la quatrième pièce de Britten, notamment par les dissonances entre la voix et la harpe.

Pour conclure

Au regard de tous ces éléments, on comprend mieux en quoi ces six morceaux forment un tout qu’en musique nous appelons « cycle » et non un simple recueil de morceaux. Ces six pièces doivent être chantées dans cet ordre et doivent s’enchaîner comme les actes d’une pièce de théâtre.

Imogen Holst, compositrice peu connue, mérite d’être plus souvent jouée en concert. L’ensemble Para L’Elles l’a mise à l’honneur lors de ces derniers concerts en faisant aussi entendre son harmonisation pour trois voix a cappella de la fameuse mélodie anglaise Green sleeves dont le texte et la musique aurait été composés par le roi Henry VIII pour Ann Boleyn qui refusait d’être sa maitresse, malgré les présents fastueux qu’il lui faisait. Cette harmonisation est contemporaine de l’écriture de Welcome Joy and Welcome Sorrow. Nous avons aussi fait découvrir au public une autre de ses pièces pour chœur a cappella intitulé The Twelve Kindly Months, mais là c’est une autre histoire…

Pour en savoir plus

Sur Imogen Holst :

Sur le Festival d’Aldeburg